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L'homme fort en Libye tente un coup d'État, soutenu par des mercenaires russes

Caravanserai et AFP

Les membres d'un bataillon militaire fidèle au général libyen Khalifa Haftar à Benghazi en décembre dernier. [Abdoullah Doma/AFP]

Les membres d'un bataillon militaire fidèle au général libyen Khalifa Haftar à Benghazi en décembre dernier. [Abdoullah Doma/AFP]

Mardi 28 avril, le gouvernement libyen reconnu par les Nations unies a accusé Khalifa Haftar, son adversaire militaire, qui bénéficie du soutien militaire de Moscou, de chercher à organiser un nouveau coup d'État après avoir prétendu avoir un « mandat populaire » pour gouverner le pays.

Accusé par les critiques de vouloir instaurer une nouvelle dictature militaire, Haftar, qui contrôle des pans entiers de l'est et du sud de la Libye, a annoncé que ce qu'il appelle son « armée » était « fière d'être chargée de la tâche historique » de diriger la Libye.

Pour plusieurs analystes, cette déclaration montre qu'il souhaite consolider son pouvoir après une série de revers au début du mois, lorsque les forces du Gouvernement d'accord national (GAN) ont pris plusieurs villes stratégiques à l'ouest de Tripoli.

Cette nation nord-africaine riche en pétrole est plongée dans le chaos depuis l'éviction et l'assassinat du dictateur de longue date Mouammar Kadhafi en 2011, et des administrations rivales à l'est et à l'ouest se disputent désormais le pouvoir.

Sergei Shoigu (à gauche), ministre russe de la Défense, serre la main du maréchal Khalifa Haftar à Moscou lors de discussions en 2017. [Ministère russe de la Défense]

Sergei Shoigu (à gauche), ministre russe de la Défense, serre la main du maréchal Khalifa Haftar à Moscou lors de discussions en 2017. [Ministère russe de la Défense]

Evgeni Prigozhin (au centre) partage quelques mots avec le président russe Vladimir Poutine (à gauche) et le Premier ministre russe Dmitri Medvedev (à droite) sur cette photo non datée. Prigozhin est largement reconnu comme le propriétaire du Groupe Wagner, l'armée de mercenaires de Poutine qui opère dans les zones de conflit dans différentes parties du monde. [Archive]

Evgeni Prigozhin (au centre) partage quelques mots avec le président russe Vladimir Poutine (à gauche) et le Premier ministre russe Dmitri Medvedev (à droite) sur cette photo non datée. Prigozhin est largement reconnu comme le propriétaire du Groupe Wagner, l'armée de mercenaires de Poutine qui opère dans les zones de conflit dans différentes parties du monde. [Archive]

Haftar affirme tirer sa légitimité d'un parlement basé dans l'est du pays et élu en 2014, mais cette instance n'a pas fait savoir qu'il soutenait sa démarche.

Il n'a pas donné de détails sur la manière dont il avait reçu son « mandat », ni de quelle institution il provenait.

Il n'a pas non plus indiqué si le parlement, qui a été forcé de déménager son siège après les violences qui ont déchiré Tripoli il y a six ans, serait dissous.

Haftar a annoncé la fin de l'Accord de Skhirat, signé au Maroc en 2015 sous l'égide des Nations unies, qui avait donné naissance au gouvernement d'unité nationale basé à Tripoli.

Intervention des mercenaires de Poutine

La tentative de coup d'État d'Haftar survient alors que Moscou cherche à soutenir cet homme fort avec une aide militaire accrue qui inclut l'envoi de jeunes Syriens pauvres pour combattre et augmenter ses forces en Libye.

Le Groupe Wagner, des mercenaires qui travaillent sur ordre du président russe Vladimir Poutine, coordonne un effort massif de recrutement de jeunes Syriens destinés à combattre comme mercenaires en Libye, ont rapporté plusieurs médias arabes.

Sous l'égide d'une organisation appelée les « Amis de la Russie », des membres affiliés aux agences de renseignement russes et syriennes transfèrent ces jeunes pour qu'ils se battent pour Haftar en les attirant avec d'importantes sommes d'argent, selon un article d'Al-Sharq al-Awsat.

Les membres des « Amis de la Russie » ont reçu des cartes d'identité militaires de la base militaire russe de Khmeimim en Syrie, a fait savoir l'article.

Par ailleurs, des appareils russes transportent des membres du Groupe Wagner et du matériel militaire de la base russe de Khmeimim en Syrie vers Benghazi, en Libye, ont rapporté plusieurs observateurs.

De plus, le GAN craint que l'afflux de mercenaires syriens en Libye ne contribue à la propagation du coronavirus dans le pays, car ils arrivent par des vols organisés par la Russie en provenance de Syrie et ne sont ni testés ni mis en quarantaine.

Ces soldats ont été en contact direct avec des membres du Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) d'Iran, qui ont également empruntés ces avions en provenance de Syrie, selon le ministère libyen de l'Intérieur.

L'Iran est l'un des pays les plus durement touchés par la pandémie du nouveau coronavirus (COVID-19).

Le contrôle de certaines zones changeant constamment de mains, les mercenaires syriens se déplacent d'un endroit à l'autre et se mêlent aux combattants et aux civils libyens, ce qui augmente potentiellement le risque d'infection et la probabilité que le virus soit transmis aux différentes communautés en Libye.

« Un désarroi grandissant »

Dans une déclaration faite avant l'aube, le GAN à Tripoli a qualifié l'annonce d'Haftar de « farce, le dernier d'une longue série de coups d'État ».

Haftar avait précédemment annoncé la fin de l'Accord de Skhirat en 2017 et, trois ans plus tôt, avait également déclaré à la télévision qu'il prenait le pouvoir en Libye.

Les Nations unies, qui ont joué le rôle de médiateur, ont exprimé leur inquiétude le 28 avril dernier concernant la décision d'Haftar.

« Pour nous, l'accord [de Skhirat], les institutions qui en proviennent, restent le seul cadre de gouvernement internationalement reconnu en Libye », a déclaré le porte-parole des Nations unies Stéphane Dujarric.

Les forces pro-Haftar se battent pour s'emparer de Tripoli depuis avril 2019, mais leur offensive s'est arrêtée en bordure de la capitale.

Au début du mois, les forces du GAN les ont chassés de deux villes côtières majeures à l'ouest de Tripoli.

Soutenues par la Turquie, les troupes du GAN encerclent désormais la principale base arrière d'Haftar à Tarhunah, à 60 km au sud-est de la capitale.

Le GAN a affirmé que la dernière annonce d'Haftar était une tentative de « dissimuler la défaite de ses milices et de ses mercenaires » et « l'échec de son projet dictatorial ».

Sa décision « d'officialiser son contrôle direct sur l'est de la Libye est un signe de son désespoir croissant face aux succès du GAN dans l'ouest de la Libye », a affirmé Hamish Kinnear, analyste de la firme Verisk Maplecroft.

« En balayant l'autorité du [parlement] et en se nommant comme leader incontesté à l'Est, Haftar se place au centre de toute solution négociée », a expliqué Kinnear.

Le 28 avril, Washington a appelé au dialogue entre les deux parties et à une trêve « humanitaire ».

« Les États-Unis regrettent [...] la suggestion d'Haftar selon laquelle des changements dans la structure politique en Libye peuvent être imposés par une déclaration unilatérale », a écrit sur Twitter l'ambassade américaine en Libye.

« Toute tentative de faire avancer des solutions unilatérales, et plus encore par la force, ne constituera jamais une solution durable » pour la Libye, a déclaré le porte-parole de l'Union européenne Peter Stano.

Le régime russe a pour sa part tenté de détourner son soutien évident à la tentative de coup d'État d'Haftar.

Moscou « est toujours convaincu que la seule solution possible en Libye dépend des contacts politiques et diplomatiques entre les parties au conflit », a déclaré le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov le 28 avril.

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