Deux anciens officiers des services de renseignements syriens ont comparu ce jeudi 23 avril pour crimes contre l'humanité lors du premier procès dans le monde pour torture d'État par le régime de Bashar el-Assad.
Le premier suspect, Anouar Raslan, ancien colonel présumé de la sécurité d'État syrienne, est accusé d'avoir commis des crimes contre l'humanité alors qu'il dirigeait le centre de détention d'al-Khatib à Damas.
Cet homme de 57 ans, qui s'est présenté sur le banc des accusés arborant des lunettes et une moustache, est accusé d'avoir supervisé le meurtre de 58 personnes et la torture de 4000 autres dans cette prison entre le 29 avril 2011 et le 7 septembre 2012.
Son co-accusé Eyad al-Gharib, 43 ans, est accusé de complicité de crimes contre l'humanité, de participation à l'arrestation de manifestants et de leur remise à al-Khatib durant l'automne 2011. Il a comparu habillé d'un sweater gris à capuche, le visage en partie recouvert d'un masque.
Comme des centaines de milliers d'autres Syriens, les deux hommes avaient fui leur pays et déposé une demande d'asile en Allemagne, où ils ont été arrêtés en février 2019.
« Ce procès est la première occasion offerte (aux victimes) de s'exprimer, non seulement en public mais devant un tribunal, pour raconter ce qui leur est arrivé et ce qui se produit encore en Syrie », a déclaré Wolfgang Kaleck, fondateur du Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l'homme (ECCHR), une organisation juridique berlinoise de soutien aux plaignants.
Raslan et Gharib sont jugés en vertu du principe de la juridiction universelle, qui donne à un pays étranger le droit de poursuivre des crimes contre l'humanité.
C'est la seule manière de traduire en justice les auteurs syriens de crimes contre l'humanité, car le Tribunal pénal international est paralysé par le veto de la Russie et de la Chine, a affirmé le ECCHR.
L'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty International a appelé les autres États à « suivre l'exemple de l'Allemagne et initier de tels procès ».
« Ce procès de Coblence devrait servir d'avertissement à tous ceux qui se rendent coupables d'atteintes aux droits de l'homme en Syrie que personne ne saurait échapper à la justice », a déclaré Human Rights Watch dans un communiqué.
« Battu à coups de poings, de câbles et de fouets »
Lors de ce procès, qui devrait durer au moins jusqu'en août, le tribunal entendra les témoignages de victimes qui ont survécu à leur emprisonnement à al-Khatib, avant de pouvoir par la suite s'enfuir en Europe.
Lors de la lecture des charges jeudi, le procureur d'État Jasper Klinge a déclaré que les conditions de détention dans cette prison étaient « inhumaines ».
Les détenus, dont beaucoup avaient été arrêtés pour avoir participé à des manifestations pro-démocratie en 2011, ont été frappés à coups « de poings, de câbles et de fouets » et soumis à des « chocs électriques », ont indiqué les procureurs.
D'autres étaient « pendus par les poignets de façon à ce que seules les pointes de leurs orteils touchent le sol » et « continuaient d'être battus dans cette position» ou encore étaient « privés de sommeil pendant plusieurs jours ».
Ces « actes brutaux de violence physique et psychologique » étaient destinés à soutirer « des confessions et des informations sur l'opposition (syrienne) », a poursuivi la lecture des chefs d'accusation.
Certains ont suggéré que Raslan n'était pas seulement un pion du régime, soulignant qu'il serait prétendument passé dans l'opposition en 2012 avant d'arriver en Allemagne deux ans plus tard.
Mais Kaleck de l'ECCHR insiste qu'il n'était pas « un quelconque gardien de prison », mais plutôt quelqu'un qui, selon les procureurs, jouissait d'une position d'autorité dans l'appareil de l'État syrien.
S'il est reconnu coupable, Raslan risque la détention à perpétuité.
Les avocats de Raslan et de Gharib se sont refusés à tout commentaire avant le procès.