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Droits de l'Homme

D'anciens officiers des renseignements syriens jugés pour torture en Allemagne

AFP

Un prisonnier syrien libéré d'une prison du régime montre ses blessures à des combattants de l'opposition à son arrivée au poste-frontière d'al-Eis dans le sud d'Alep, le 19 juillet 2018. [Omar Haj Kadour/AFP]

Un prisonnier syrien libéré d'une prison du régime montre ses blessures à des combattants de l'opposition à son arrivée au poste-frontière d'al-Eis dans le sud d'Alep, le 19 juillet 2018. [Omar Haj Kadour/AFP]

Deux anciens officiers des renseignements syriens accusés de crimes contre l'humanité comparaîtront cette semaine devant un tribunal allemand, à l'occasion du premier procès de ce type portant sur des actes de torture d'État en Syrie.

Lorsque Anouar al-Bunni croisa la route de son compatriote syrien Anouwar Raslan dans un magasin de bricolage en Allemagne il y a cinq ans, il le reconnut comme étant l'homme qui l'avait envoyé en prison une dizaine d'années plus tôt.

Jeudi 23 avril, les deux hommes se retrouveront face à face dans un tribunal allemand, où Raslan sera l'un des deux anciens officiers présumés des renseignements syriens accusés de crimes contre l'humanité pour le régime syrien de Bashar el-Assad.

Lors du premier procès dans le monde de la torture d'État en Syrie, Raslan sera jugé en vertu du principe de la juridiction universelle, qui permet à un pays étranger de poursuivre des crimes contre l'humanité.

Pour Bunni, ce procès enverra au régime syrien « un message important » : « Vous ne bénéficierez jamais de l'impunité, pensez-y ! »

Bunni a déclaré que Raslan est l'homme qui l'avait arrêté chez lui à Damas en mai 2006 et l'avait envoyé dans une prison d'État, où cet avocat avait passé cinq ans avant d'être libéré lors du soulèvement syrien en 2011.

Les deux hommes étaient arrivés à Berlin à deux mois d'intervalle, et leurs chemins s'étaient brièvement croisés lors d'un séjour dans le même centre de demandeurs d'asile.

« Je me suis dit que je connaissais cet homme, mais je ne l'avais pas immédiatement reconnu », a indiqué Bunni. Quelques mois plus tard, il avait de nouveau croisé la route de son ravisseur présumé, cette fois dans un magasin, et l'avait finalement reconnu.

« Présenter la vérité »

Avocat syrien âgé d'une soixantaine d'années, Bunni était un infatigable défendeur des droits de l'homme dans son pays, mais vivait sous le statut de réfugié à Berlin.

Incapable de poursuivre sa profession en Allemagne, il collecte désormais des preuves et des témoignages contre le régime.

Bien que Bunni ne fasse pas partie des plaignants lors du procès qui s'ouvrira jeudi, il est un membre respecté au sein de la communauté syrienne en Allemagne, forte de 700 000 personnes, et a convaincu de nombreuses victimes de se faire connaître.

En 2016, lorsqu'il commença à travailler avec les avocats locaux, Bunni apprit que les enquêteurs allemands s'intéressaient déjà à Raslan, qui fut arrêté en février 2019.

Raslan est aujourd'hui accusé d'avoir supervisé l'assassinat de 58 personnes et la torture de 4000 autres alors qu'il était responsable du centre de détention d'al-Khatib à Damas, entre 2011 et 2012.

Un autre Syrien, Eyad al-Gharib, 43 ans, est accusé d'avoir été son complice.

« Il ne s'agit pas de revanche, mais de présenter la vérité », a indiqué l'avocat allemand Patrick Kroker, qui représente six plaignants syriens.

Réfugiées aujourd'hui dans différents pays européens, ces victimes de la torture du régime syrien « souhaitent que le monde sache ce qu'il s'est passé », a déclaré Me Kroker.

« Mauvais traitements physiques »

Tous ceux qui devraient témoigner à Coblence ont été « soumis à de mauvais traitements physiques, très brutaux dans certains cas, et sur une longue période » dans la prison d'État, a ajouté Me Kroker.

Leurs crimes supposés étaient « la participation à des manifestations, l'enregistrement filmé de manifestations [...] ou la collecte de médicaments pour ceux qui avaient été blessés lors de ces manifestations », a-t-il poursuivi.

De nombreuses victimes ont préféré garder le silence, par peur de représailles contre leurs amis ou les membres de leurs familles restés en Syrie, ou de châtiments de la part d'agents du régime syrien en Europe.

Pour Bunni, le combat est loin d'être terminé.

Près d'un millier de Syriens impliqués dans des crimes mènent maintenant des vies tranquilles en Europe, a-t-il indiqué. Pendant ce temps, des gens continuent d'être torturés à al-Khatib.

Les témoins de Coblence ne s'expriment pas seulement en leur nom, mais aussi pour les autres victimes, a ajouté Me Kroker.

« La plupart d'entre eux expliquent : 'Je le fais aussi [...] pour signifier clairement l'importance que revêt ce procès pour tous ceux qui ne peuvent être ici, soit parce qu'ils sont encore en prison, soit parce qu'ils ont peur, soit encore parce qu'ils ne peuvent venir en Europe, soit parce qu'ils sont morts sous la torture'. »

Enquêtes internationales

Plusieurs tribunaux en France et en Espagne ont également ouvert des enquêtes sur les crimes commis par le régime syrien.

En 2016, les Nations unies ont mis en place leur Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de préparer les accusations de crimes de guerre à l'encontre d'individus durant le conflit en Syrie.

Depuis avril 2018, ce mécanisme onusien a collecté des preuves qui pourront être utilisées lors de futurs procès de présumés coupables de crimes contre l'humanité.

Il dispose de plus d'un million de pièces, dont des documents, des photos, des vidéos, des images satellites, des déclarations de victimes et de témoins et des documents non classifiés.

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