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De captive à militante, le combat d'une jeune Yézidie contre la violence

AFP

Imane Abbas, une victime yézidie de l'EIIS âgée de 18 ans, dans une tente du camp de Charia pour les déplacés dans la province de Dohuk, dans le nord de l'Irak, le 21 novembre. Abbas, vendue à plusieurs reprises comme « esclave » par l'EIIS, est récemment rentrée de Bombay où elle a reçu le prestigieux Mother Teresa Memorial Award pour le compte du Yazidi Rescue Office de la région, avec lequel elle travaille. [Safin Hamed/AFP]

Imane Abbas, une victime yézidie de l'EIIS âgée de 18 ans, dans une tente du camp de Charia pour les déplacés dans la province de Dohuk, dans le nord de l'Irak, le 21 novembre. Abbas, vendue à plusieurs reprises comme « esclave » par l'EIIS, est récemment rentrée de Bombay où elle a reçu le prestigieux Mother Teresa Memorial Award pour le compte du Yazidi Rescue Office de la région, avec lequel elle travaille. [Safin Hamed/AFP]

Âgée de seulement 18 ans, Imane Abbas a survécu à des souffrances qui en aurait brisé plus d'une ; cette jeune Yézidie a été à plusieurs reprises vendue comme « esclave » par les extrémistes, mais a réussi à s'échapper pour devenir une militante récompensée qui se consacre aux autres survivantes.

« Après ce que j'ai vécu, je ne me vois pas comme une adolescente », déclare de sa voix douce Abbas dans la modeste tente familiale de deux pièces dans le camp de déplacés de Charia, dans la région kurde du nord de l'Irak.

Cette grande jeune femme aux cheveux noirs est récemment rentrée de Bombay où elle a reçu le prestigieux Mother Teresa Memorial Award pour le compte du Yazidi Rescue Office (YRO) de la région, avec lequel elle travaille.

Le YRO a permis de sauver près de 5 000 jeunes filles yézidies capturées lorsque « l'État islamique en Irak et en Syrie » (EIIS) s'était emparé des terres ancestrales de cette minorité dans le nord-ouest de l'Irak en 2014.

Recevoir ce prix a été un moment « émouvant », se rappelle Abbas, vêtue de la robe blanche et la coiffe traditionnelles yézidies.

« J'ai raconté mon histoire et celles d'autres survivantes yézidies, et certains dans l'assemblée se sont mis à pleurer », a-t-elle expliqué à l'AFP dans un entretien avant le lundi 25 novembre, qui marque la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes.

« Raconter son histoire a certes apaisé une partie de la souffrance, mais m'a encore davantage convaincue de ma responsabilité à aider les autres survivantes. »

Abbas n'avait que 13 ans lorsque l'EIIS fit irruption dans les villages escarpés de Sinjar, transformant des milliers de femmes et de filles yézidies en « esclaves sexuelles », tuant les hommes et emmenant les jeunes garçons pour en faire des enfants-soldats.

Elle avait été immédiatement séparée de sa famille par les extrémistes, qui la vendirent, avec d'autres femmes yézidies, sur des « marchés aux esclaves » à des membres de l'EIIS.

Abbas a été vendue trois fois, et son dernier « propriétaire », un médecin irakien membre de l'EIIS âgé de 40 ans, lui promit de la libérer si elle parvenait à mémoriser 101 pages du Coran, le livre saint des musulmans.

« Des histoires douloureuses »

Les Yézidis sont une minorité ethno-religieuse kurdophone, et apprendre à réciter de nouveaux textes religieux en arabe fut un défi énorme pour cette adolescente terrifiée.

« Chaque jour, il me disait de m'asseoir devant lui et de réciter le Coran. Je réussis à retenir les 101 pages en un mois et quatre jours », a-t-elle raconté.

Son ravisseur l'emmena devant l'un des tribunaux de l'EIIS dans le bastion irakien du groupe à Mossoul, pour que leur prétendu « califat » lui délivre un document certifiant qu'elle était « une femme musulmane libre ».

Elle réussit à rallier Tal Afar, dans le nord-ouest de l'Irak, où le reste de sa famille avait été réduite en esclavage par l'EIIS, gardant des troupeaux de moutons.

En 2015, ils furent sauvés par les YRO et réinstallés à Charia, un immense camp qui abrite aujourd'hui plus de 17 000 Yézidis déplacés.

Aujourd'hui, Abbas passe la moitié de ses journées à l'école et l'autre moitié à travailler au sein du service qui l'a sauvée.

L'EIIS a perdu ses bastions irakiens en 2017 et a été chassé de ses derniers lambeaux de territoires dans la Syrie voisine en mars.

Des centaines de Yézidis qui avaient été captifs pendant des années purent s'échapper alors que s'effondraient les derniers vestiges du « califat » des extrémistes.

Mais des milliers sont encore portés disparus, selon le YRO.

Certains se sont convertis à l'islam et vivent toujours auprès de familles musulmanes, trop effrayés, honteux ou « intoxiqués » pour rentrer chez eux, ont expliqué des responsables yézidis.

Abbas a expliqué qu'une partie de sa mission au YRO, où elle a commencé à travailler il y a tout juste moins d'un an, consiste à persuader ces femmes et ces filles de retourner dans leurs familles d'origine.

Elle s'est également entretenue avec plus de 50 filles sauvées pour documenter leurs histoires dans les archives de l'organisation, un travail dont elle dit qu'il la rend « triste et heureuse en même temps ».

« Je dois écouter toutes ces histoires horribles, chacune différente des autres. Elles sont toutes très douloureuses, certaines plus que la mienne », a-t-elle rapporté.

Mais elle est également fière de son travail. « Je suis heureuse, parce que je fais partie de ceux qui aident à sauver des survivantes. »

Ce n'est que le début

Son parcours rappelle celui de Nadia Mourad, la survivante yézidie lauréate du prix Nobel de la paix l'année dernière pour son travail de sensibilisation.

Depuis son voyage à Bombay, Abbas est elle-même devenue une sorte de mini-célébrité, en particulier dans le camp où elle vit.

Ses parents ont toujours leur téléphone à portée de main pour répondre aux appels pour les féliciter et remercier le militantisme de leur fille.

« Imane est plus heureuse et plus forte depuis qu'elle a commencé à raconter son histoire en public », a expliqué Abdallah, son père, affirmant fièrement à l'AFP qu'elle avait déjà changé sa manière de voir le pouvoir de la narration.

« Au début, quand elle racontait sa captivité, je lui tournais le dos parce que c'était trop dur pour moi de la regarder en face », a-t-il avoué.

Maintenant, il voudrait que toutes les survivantes yézidies puissent parler avec la même liberté, estimant que cela aidera à la fois la personne et la minorité brisée.

Abbas suit aujourd'hui des cours d'anglais, mais ce n'est que le début de ses ambitions militantes.

« Je voudrai devenir avocate pour me familiariser avec le droit irakien et international pour pouvoir défendre les droits des survivantes yézidies et des autres victimes de l'EIIS », a-t-elle conclu.

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