L'attitude du Kremlin envers la reconstruction de la Syrie, que les forces russes ont aidé à détruire en bombardant sans distinction les forces d'opposition syriennes, contraste fortement avec les actions de la coalition occidentale, indique des recherches indépendantes.
Sergei Shoigu, ministre russe de la Défense, a proposé que la Communauté des Etats indépendants (CEI), qui comprend d'anciennes républiques soviétiques en Asie centrale, aide à reconstruire la Syrie.
Le déminage, les patrouilles conjointes et l'aide humanitaire représentent certains moyens par lesquels les autres membres de la CEI peuvent aider, a-t-il déclaré pendant une session du conseil des ministres de la Défense de la CEI le 6 juin à Kyzyl, en Russie.
« Nous comptons sur votre soutien, qui prouverait notre unité dans la lutte contre le terrorisme international et assurerait une sécurité commune », a-t-il indiqué selon le ministère russe de la Défense.
La Russie est le seul membre de la CEI qui se bat en Syrie.
La Russie ne donne rien
L'appel de Shoigu pour que la CEI aide la Syrie se produit plus d'un an après que le ministre adjoint russe des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov a explicitement déclaré que son pays ne payerait pas pour aider à reconstruire le pays.
Bogdanov a fait sa déclaration intransigeante aux ambassadeurs de l'Union européenne à Moscou en février 2017, selon le Financial Times.
« Des dizaines de milliards de dollars » seront nécessaires pour la reconstruction de la Syrie, a-t-il fait savoir, ajoutant que « rien » ne doit être attendu de la Russie, selon les diplomates présents.
« [La Russie arrive], met le désordre, détruit tout, et veut que tout le monde paye », a expliqué un diplomate européen.
Les prises de position de Shoigu et de Bogdanov indiquent que la Russie s'attend à ce que tous les autres membres de la CEI et le reste du monde payent pour reconstruire ce que les forces russes ont aidé à détruire.
L'Asie centrale rejette la dualité russe
Des politologues d'Asie centrale ont fortement critiqué les appels aux fonds de reconstruction égoïstes de la Russie.
« Ce n'est pas la première fois que la Russie appelle des pays d'Asie centrale, et le Kazakhstan en particulier à [mener] des actions douteuses au niveau international », a déclaré à Caravanserai le politologue Islam Kurayev, à Almaty, au Kazakhstan.
« Cependant, le Kazakhstan est un Etat souverain qui ne doit rien à personne », a-t-il affirmé. « Le fait qu'un responsable d'un pays étranger [...] nous impose une initiative est inacceptable. Après tout, la Russie est la première à défendre ses propres intérêts géopolitiques [en Syrie]. »
Le soutien de la Russie au régime du dictateur syrien Bachar el-Assad est une raison suffisante de se méfier du financement des efforts de reconstruction, a déclaré Askat Dukenbayev, politologue à Bishkek, au Kirghizistan.
« Si certaines entreprises privées du Kirghizistan ont montré leur intérêt [face à l'appel aux fonds de Shoigu], c'est leur affaire, même si elles subiront des sanctions des États-Unis », a-t-il déclaré à Caravanserai. « Mais les agences gouvernementales kirghizes s'abstiendront jusqu'à ce que la paix soit déclarée en Syrie, ce qui ne sera possible qu'après le départ de Bachar el-Assad. »
Nurmukhammad Kholzoda, un politologue tadjik travaillant à Prague, a lui aussi appelé à la prudence.
« La participation du Tadjikistan à toute coalition, même si elle [est destinée à réparer] les conséquences de la guerre, doit se faire sous les auspices d'organisations internationales et sur la base de décisions d'organismes internationaux étant habilités à le faire », a-t-il déclaré à Caravanserai.
« Le Tadjikistan ne dispose pas de beaucoup de capacités techniques ou d'argent », a-t-il déploré. « Le pays dépend lui-même de subventions, de prêts et d'aide humanitaire [de l'étranger]. »
« La paix n'existe pas encore en Syrie, et les alliés de la Russie ne partagent pas les mêmes idées », a expliqué à Caravansersai Karimjon Akhmedov, ancien ministre adjoint tadjik de l'Économie.
« Ne serait-il pas préférable que [le Tadjikistan] participe à la stabilisation de l'Afghanistan ? », a-t-il demandé.
La stabilisation de l'Afghanistan est également une priorité pour l'Ouzbékistan, a déclaré le politologue ouzbek Oumid Asatullayev.
« Lors de la dernière rencontre entre [le président ouzbek Shavkat Mirziyoyev] et [le président américain Donald Trump, ils] ont défini des points précis : la priorité de l'Ouzbékistan est la reconstruction de l'Afghanistan, et c'est là que tous nos efforts seront dirigés », a-t-il expliqué à Caravanserai.
« Je doute que quiconque en Ouzbékistan souhaite soutenir le régime syrien d'al-Assad », a affirmé à Caravanserai Abdourasoul Samandarov, habitant de Tashkent âgé de 28 ans. « Il mène une guerre civile contre son propre peuple depuis des années, grâce à laquelle "l'État islamique en Irak et en Syrie" (EIIS) s'est formé. Ses activistes nous menacent maintenant depuis l'Afghanistan, et ils essaient d'entrer en Ouzbékistan. »
« Nous ne devons envoyer aucune aide tant que n'aura pas été formé un gouvernement syrien satisfaisant les besoins des habitants de toute la [Syrie] », a-t-il affirmé.
La Russie tue sans distinction en Syrie
Alors que les frappes aériennes ont augmenté de 150 % depuis l'intervention de la Russie dans le conflit en 2015, seuls 14% de ces frappes ont touché des cibles de l'EIIS, alors que la Russie a indiqué cibler principalement le groupe terroriste international, a fait savoir le Centre sur le terrorisme et l'insurrection Jane's de l'IHS le 15 mai.
Les frappes ont été « particulièrement concentrées dans les régions où l'EIIS a une faible présence opérationnelle, voire même aucune », a précisé le rapport.
Les bombes russes ont atteint des hôpitaux et d'autres cibles civiles interdites dans la volonté sans limites d'éliminer toute l'opposition d'el-Assad, d'après l'Observatoire syrien des droits de l'homme, Médecins sans frontières, Amnesty International et plusieurs autres ONG.
En 2017, il y a eu 112 attaques vérifiées contre des bâtiments de santé en Syrie, a rapporté Middle East Monitor. Selon les Nations unies, ces attaques ont causé la mort de 73 civils, et en ont blessé 149.
Pendant ce temps, au cours des six premiers mois de 2018, le régime syrien et son allié russe ont attaqué des hôpitaux 92 fois, tuant 89 personnes et en blessant 135, d'après Farhan Haq, porte-parole du secrétaire général de l'ONU.
Le Kremlin n'a jamais versé d'indemnisations et a toujours déclaré que ses bombardements ne tuent que les terroristes et leurs partisans.
Cette obstination a été incarnée dans les remarques de Vladimir Chizhov, ambassadeur russe auprès de l'Union européenne, à la chaîne de télévision allemande ARD en avril.
Lorsqu'il lui a été demandé si l'Europe devait payer pour les dégâts causés par les bombes russes, Chizhov a nié le fait que des avions de son pays ont frappé des hôpitaux. « Les seuls bâtiments qui étaient des cibles [russes] [...] appartenaient à des organisations terroristes », a-t-il insisté.
Des milliards de dollars de la part des États-Unis
Alors que les troupes et les avions russes ont dévasté les régions tenues par l'opposition en Syrie et n'ont offert aucune protection aux civils, les États-Unis, représentant la majeure partie de la coalition occidentale contre l'EIIS, suivent une approche très différente.
« Les Etats-Unis sont le pays donnant le plus d'aide humanitaire pour la Syrie [...], fournissant près de 7,7 milliards de dollars depuis le début de la crise dans ce pays », a rapporté le secrétaire d'État adjoint John Sullivan à Washington le 22 mars.
« Chaque mois, cette assistance aide les Syriens dans tous les gouvernorats, en plus des plus de cinq millions et demi de Syriens des pays voisins », a-t-il déclaré.
L'armée américaine a également pris des mesures draconiennes pour protéger les civils lors de ses opérations contre les activistes de l'EIIS en Syrie.
« Nous continuons à mener nos frappes d'une façon qui minimise leur impact sur les populations civiles [...], et nous nous sommes engagés à faire preuve de transparence lorsqu'il s'agit de signaler les victimes civiles qui peuvent se produire non intentionnellement à cause de nos frappes », a fait savoir la coalition dirigée par les États-Unis en juin.
Cette déclaration était une réponse à un rapport du 5 juin par Amnesty International sur les morts civiles pendant les opérations visant à reprendre al-Raqqa, la capitale autoproclamée de l'EIIS en Syrie.
« La réalité en Irak et en Syrie est que nous combattons un ennemi qui ne respecte aucune loi, aucun standard et aucun aspect humain », a déclaré la coalition, ajoutant qu'elle mène « des actions rigoureuses et rassemble des informations [...] avant chaque frappe pour détruire [l'EIIS] tout en minimisant les dégâts sur les populations civiles ».
[Arman Kaliyev d'Almaty, Negmatullo Mirsaidov de Khujand et Maksim Yeniseyev de Tashkent ont contribué à cet article.]