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L'agonie des femmes yézidies déchirées entre les enfants de l'EIIS et le retour à la maison

AFP

Jihan Qassem, yézidie irakienne de 18 ans, dans une maison de fortune d'une zone abritant de nombreuses personnes déplacées à la périphérie de la ville de Baadre, dans le nord-ouest de l'Irak, le 25 juin 2019. Jihan a dû abandonner ses trois enfants nés d'un père membre de l'EIIS ou être rejetée par sa communauté. [Safin Hamed/AFP]

Jihan Qassem, yézidie irakienne de 18 ans, dans une maison de fortune d'une zone abritant de nombreuses personnes déplacées à la périphérie de la ville de Baadre, dans le nord-ouest de l'Irak, le 25 juin 2019. Jihan a dû abandonner ses trois enfants nés d'un père membre de l'EIIS ou être rejetée par sa communauté. [Safin Hamed/AFP]

Libérée après des années de captivité chez les extrémistes, Jihan a dû faire face à un horrible ultimatum : abandonner ses trois jeunes enfants nés d'un combattant de « l'État islamique en Irak et en Syrie » (EIIS) ou risquer d'être rejetée par sa communauté.

« Je ne pouvais bien sûr pas les ramener chez moi. Ce sont des enfants de l'EIIS », a déclaré Jihan Qassem, assise dans une structure en béton vide qui est désormais son foyer.

« Comment le pourrais-je, alors que mes trois frères et sœurs sont toujours entre les mains de l'EIIS », a-t-elle ajouté, soulignant la dure réalité selon laquelle les enfants sont le rappel constant des brutalités infligées par l'EIIS à la communauté fermée et soudée des yézidis.

Des dizaines de femmes et de filles yézidies systématiquement violées, vendues et mariées à des extrémistes après avoir été enlevées par l'EIIS dans leur foyer ancestral irakien de Sinjar en 2014 ont été confrontées au même dilemme déchirant. Que faire des enfants nés de ces unions forcées ?

Des enfants irakiens yézidis déplacés se tiennent près d'une tente dans un camp à Khanke, dans la province irakienne de Dohuk, le 24 juin 2019. Des dizaines de femmes et de filles yézidies enlevées par l'EIIS sont confrontées à un dilemme cruel : laisser leurs enfants nés de pères membres de l'EIIS derrière elles ou risquer d'être rejetées par leur communauté. [Safin Hamed/AFP]

Des enfants irakiens yézidis déplacés se tiennent près d'une tente dans un camp à Khanke, dans la province irakienne de Dohuk, le 24 juin 2019. Des dizaines de femmes et de filles yézidies enlevées par l'EIIS sont confrontées à un dilemme cruel : laisser leurs enfants nés de pères membres de l'EIIS derrière elles ou risquer d'être rejetées par leur communauté. [Safin Hamed/AFP]

Désormais libres, ces femmes veulent guérir des blessures infligées à la minorité conservatrice; mais il serait impossible de tourner la page en élevant des enfants d'extrémistes, ont-elles affirmé.

Enlevée à 13 ans, Jihan a été forcée d'épouser un combattant tunisien de l'EIIS à 15 ans, puis s'est enfuie avec lui et leurs enfants il y a quatre mois pour échapper au bastion syrien de l'EIIS d'al-Baghouz bombardé.

Lorsque les forces soutenues par les États-Unis ont appris qu'elle était yézidie, ils l'ont emmenée avec son fils de deux ans, sa fille d'un an et son bébé de quatre mois dans un refuge du nord-est de la Syrie accueillant d'autres mères de cette minorité brutalisée.

Ce refuge, connu sous le nom de Maison yézidie, a fait circuler sa photo sur Facebook, et son frère aîné Saman, toujours dans le nord de l'Irak, a reconnu sa sœur disparue depuis longtemps.

Il voulait qu'elle rentre. Mais sans les enfants.

Après plusieurs jours d'échanges angoissés, Jihan a décidé de laisser ses enfants aux autorités kurdes syriennes en échange de ce qu'elle dit être sa vraie famille.

« Ils étaient si jeunes. Ils étaient attachés à moi, et moi à eux [...], mais ce sont des enfants de l'EIIS », a-t-elle murmuré.

Elle a dit n'avoir aucune photo de ses enfants, et qu'elle ne veut pas s'en souvenir.

« Le premier jour est difficile, puis, petit à petit, on les oublie », a-t-elle expliqué.

« Personne ne pose de questions à leur sujet »

Depuis des siècles, les yézidis qui se sont mariés en dehors de la secte, même contre leur gré, ont été excommuniés.

Les filles enlevées de force par l'EIIS en 2014 risquaient de subir le même sort, mais un décret historique du chef spirituel yézidi Baba Cheikh a fait savoir que les survivantes des abus sexuels de l'EIIS doivent être honorées par la communauté.

Cette compassion n'a cependant pas été étendue à leurs enfants.

En avril, le Conseil spirituel supérieur des yézidis a publié un décret ambigu accueillant les « enfants des survivants », faisant naître l'espoir d'une seconde réforme pour accepter ceux qui sont nés d'une mère yézidie et d'un père de l'EIIS.

Mais une réaction féroce de la part des yézidis conservateurs a incité le conseil à préciser que rien n'avait changé: il n'accueillera que les enfants nés de deux parents yézidis.

Toute nouvelle réforme était perçue comme une menace, ouvrant la voie au changement dans une communauté traumatisée, a rapporté Talal Murad, militant yézidi.

« Si ce genre de changement se fait dans le credo, d'autres choses pourraient aussi changer; il y aura une rupture, un effondrement total de la religion yézidie », a affirmé Mourad, qui dirige également Ezidi24, un organe de presse couvrant les affaires yézidies.

Ali Kheder, représentant du conseil, a déclaré à l'AFP que le débat ne concernait pas uniquement sur la réforme dogmatique.

« D'abord, selon la loi irakienne, tout enfant dont le père a disparu est automatiquement enregistré comme musulman », a précisé Kheder, au siège du conseil à Sheikhan.

La loi islamique, sur laquelle la constitution irakienne est basée, stipule que la religion est héritée du père.

Sur le plan psychologique aussi, Kheder a indiqué que la société yézidie restait trop marquée par l'enlèvement prolongé de son propre peuple pour accepter d'élever les enfants de leurs bourreaux.

« À l'heure actuelle, des milliers de femmes et de filles yézidies sont entre les mains de l'EIIS. Personne ne pose de questions à leur sujet. Ils posent des questions sur quelques enfants qui peuvent être comptés d'une seule main », a indiqué Kheder.

Le conseil a déclaré qu'il ne tenait pas de statistiques sur le retour des yézidies survivantes ayant des enfants nés d'un viol.

Chair, sang et larmes

Alors que la plupart des mères yézidies laissent leurs enfants à la Maison yézidie en Syrie, certaines ont ramené des enfants issus de l'EIIS en Irak. Elles ont refusé d'être interrogées en raison de la sensibilité du sujet.

Une femme a insisté auprès de sa famille yézidie pour pouvoir élever son bébé d'un an, dont le père est un combattant de l'EIIS disparu, mais elle a laissé tomber lorsqu'elle a découvert qu'elle ne pourrait pas obtenir de papiers d'identité irakiens pour lui, car son père est absent.

Elle l'a abandonné pour qu'il soit adopté, a fait savoir son médecin.

Une autre jeune femme de 18 ans est arrivée en Irak au printemps après avoir finalement été libérée, mais sa grossesse, provoquée par son ravisseur de l'EIIS, était presque arrivée à terme, selon un travailleur social s'occupant de son cas.

Elle a passé des semaines dans un refuge à l'insu de sa famille jusqu'à ce qu'elle accouche, a renvoyé le nouveau-né et a rejoint ses proches dans un camp de déplacés.

L'année dernière, cinq enfants de mères yézidies et de pères de l'EIIS ont été abandonnés dans un orphelinat de Mossoul, lequel a aidé des familles musulmanes locales à les adopter, selon Sukaynah Younes, directrice des questions relatives aux femmes et aux enfants de Mossoul.

Ils sont désormais enregistrés comme musulmans.

L'impact psychologique de cette séparation sera probablement durable. Jihan elle-même semblait toujours déchirée.

Il y a plusieurs semaines, elle avait décrit ses enfants à une assistante sociale comme « sa chair et son sang », disant qu'ils lui manquaient.

Alors qu'elle semblait plus détachée lors de son entretien avec l'AFP, un sourire timide s'est dessiné sur son visage à leur souvenir. Quand son frère était assez loin pour ne pas l'entendre, elle a pleuré doucement.

« Si ça ne tenait qu'à moi, je les aurais ramenés », a-t-elle conclu.

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2 COMMENTAIRE (S)
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La souffrance des femmes yézidies libérées : Jihan Qassim, une femme yézidie de l'Irak, dans une maison temporaire dans une zone où plusieurs personnes déplacées vivent dans la banlieue de Baadra, au nord-ouest de l'Irak, dans une photo prise le 25 juin 2019. La peur de devenir isolée dans sa communauté a forcé Jihan à abandonner ses trois enfants car leur père est un élément de "l’État islamique en Irak et en Syrie" (EIIS). Safin Hamed/AFP. Il y a quelques jours, à la Raido (???), et je crois qu'elle parle de la même personne, mais elle n'a pas mentionné son nom. Elle a été citée comme avoir dit qu'elle avait 13 ans en 2014 lorsqu'elle a été enlevée, elle a été mariée même si elle était mineure. Maintenant elle a trois enfants (2 ans, 1 ans, quelques mois, et quatre mois (un bébé). "Je les ai laissés au [Camp] al-Hawl, et l'enfant de deux ans criait à sa mère disant : 'Maman, emmène moi avec toi.' Cela a été répété plusieurs fois. Le deuxième enfant ne pouvait pas parler encore. Elle a dit qu'elle a nettoyé le bébé, a changé son [illisible] et lui a acheté [illisible]. Elle lui a donné ses deux seins pour la dernière fois. Elle a dit qu'ils étaient petits et qu'il allait l'oublier. C'est une situation difficile, car l'amour et la haine sont mélangés chez les enfants. N'y-a t-il pas de personne dans le monde qui puisse aider ces femmes en leur offrant une vie décente avec leurs enfants à travers n'importe quel moyen possible? Je crains que ces enfants innocents tombent en

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C'est une déclaration exacte mais avec une mauvaise connotation! Où en est votre site des crimes de "l’État Islamique en Irak et en Syrie" (EIIS) contre les yézidis avant de mentionner ces cas?

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