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En Irak, des femmes veulent mettre fin aux mutilations génitales

AFP

Des femmes kurdes irakiennes assistent aux célébrations de Noruz depuis une terrasse dans la ville d'Akra, le 20 mars. [Safin Hamed/AFP]

Des femmes kurdes irakiennes assistent aux célébrations de Noruz depuis une terrasse dans la ville d'Akra, le 20 mars. [Safin Hamed/AFP]

La pluie menaçait un village de la région kurde d'Irak, mais une femme refusait de bouger de devant une maison où deux fillettes couraient le risque d'une mutilation génitale.

« Je sais que vous êtes là ! Je veux juste parler », clamait Kurdistan Rasul, une activiste kurde irakienne travaillant avec l'organisation à but non lucratif WADI, qui mène une campagne pour éradiquer la pratique des mutilations génitales féminines (MGF).

Les MGF, lors desquelles les organes génitaux d'une fille ou d'une femme sont coupés ou retirés, étaient jadis une pratique extrêmement commune dans la région kurde, mais cette campagne de WADI a permis de la réduire.

Rasul, 35 ans, qui fut elle-même mutilée dans son jeune âge, aide à éradiquer les MGF dans le village de Sharboty Saghira, à l'est d'Erbil.

Elle s'y est rendue 25 fois, contestant les dires de l'imam local selon lesquels les MGF sont conformes à l'islam et parlant aux sages-femmes des risques d'infections et de traumatismes émotionnels.

Ce matin-là, elle avait utilisé le minaret de la mosquée pour inviter les villageois à parler de leur santé. Lorsque huit femmes sont entrées, elle leur a patiemment décrit les dangers des MGF.

À la fin, une frêle femme s'est approchée de Rasul pour lui expliquer que son voisin envisageait de mutiler ses deux fillettes.

Cela conduisit Rasul sur le sentier boueux menant à cette maison, frappant d'abord à la porte avant de demander avec insistance qu'on la laisse entrer.

Mais la porte resta fermée.

« Nous tentons de changer les convictions. C'est pour cela que c'est si difficile », a expliqué Rasul, en s'éloignant à regret.

« Juste une enfant »

Il semble que l'on ait pratiqué les MGF pendant des dizaines d'années dans le Kurdistan irakien, habituellement connu pour ses positions plus progressistes en matière de droits des femmes.

Les victimes ont en général entre quatre et cinq ans, mais doivent vivre pendant des années avec des saignements, une sensibilité réduite, des déchirements pendant l'accouchement et la dépression.

La procédure peut même s'avérer fatale, certaines fillettes succombant à la perte de sang ou à une infection.

Après des années de campagne, les autorités kurdes ont interdit les MGF par une loi de 2011 sur les violences domestiques, punissant les auteurs d'une peine d'emprisonnement jusqu'à trois ans et d'une amende pouvant atteindre 80 000 dollars.

Leur nombre a depuis lors régulièrement diminué.

En 2014, une enquête réalisée par une agence des Nations unies, l'UNICEF, montra que 58,5 % des femmes de cette région kurde avaient été mutilées.

Cette année, l'UNICEF a indiqué que la proportion était moindre : 37,5 % des filles âgées de 15 à 49 ans de la région kurde avaient subi des MGF.

Ce chiffre est à comparer au moins de 1 % dans le reste de l'Irak, où il n'existe aucune loi sur les MGF.

« Elle m'a coupée, j'ai eu mal et j'ai pleuré », a expliqué Shukriyeh, 61 ans, parlant du jour où sa mère l'a mutilée, il y a plus de 50 ans.

« Je n'étais qu'une enfant. Comment aurais-je pu en vouloir à ma mère ? »

Les six filles de Shukriyeh, dont la plus jeune a 26 ans, ont également toutes été mutilées. Mais grâce aux campagnes contre les MGF, elles ont refusé de faire de même sur leurs filles.

Il y a des années, Zeinab, 38 ans, avait permis à des femmes proches de couper l'aînée de ses filles, alors âgée de 3 ans.

« J'avais tellement peur que je suis restée à l'écart et suis venue pour la nettoyer après qu'elles l'eurent coupée », se rappelle-t-elle, mal à l'aise.

Après les réunions de WADI, elle a protégé ses deux autres filles contre cette mutilation.

« Je l'avais accepté à l'époque, aujourd'hui, je ne l'autoriserai pas. Oui, je regrette. Mais que puis-je y faire maintenant ? »

« Femmes contre femmes »

Rasul a expliqué qu'il était difficile de lutter contre une forme de violence basée sur le genre que les femmes pratiquent elles-mêmes.

« Les jeunes hommes et femmes reconnaissent que les MGF doivent s'arrêter. Mais après que nous ayons quitté le village, les femmes plus âgées viennent leur dire : 'Faites attention, cette ONG veut créer des problèmes' », a-t-elle ajouté.

L'enquête réalisée en 2014 par l'UNICEF avait montré que 75 % des femmes avaient déclaré que leurs propres mères étaient les plus partisanes de ces mutilations.

« Je dis à ces femmes : c'est une violence à laquelle vous vous livrez de vos propres mains, femmes contre femmes », a ajouté Rasul.

Ces liens de parenté expliquent également que les victimes de MGF sont moins enclines à chercher justice.

« La loi de 2011 n'est pas utilisée parce que les filles ne portent pas plainte contre leurs mères ou leurs pères », a expliqué Parwin Hassan, directrice de l'unité anti-MGF au sein du gouvernement régional kurde.

Hassan a souhaité travailler sur ce sujet depuis qu'elle y a échappé de peu : sa mère l'avait sortie des mains de leur sage-femme après être revenue sur sa décision à la dernière minute.

« Je travaille sur les affaires des femmes depuis 1991, mais c'est le sujet le plus douloureux pour moi. C'est la raison pour laquelle je me suis promis de l'éradiquer totalement », a-t-elle poursuivi.

Elle a indiqué que les autorités kurdes comptaient dévoiler une stratégie l'an prochain pour renforcer la loi de 2011 et mener plus de campagnes de sensibilisation.

Pour leur part, les Nations unies s'attendent à pouvoir mieux lutter contre les MGF en 2019, en partie grâce à la réduction de la menace de « l'État islamique en Irak et en Syrie » (EIIS).

Après l'émergence de l'EIIS en 2014, les agences onusiennes s'étaient ruées pour répondre à la situation des familles déplacées et lutter contre les opérations a expliqué Ivana Chapcakova, spécialiste des violences basées sur le genre à l'UNICEF.

« Maintenant que l'urgence est passée, nous pouvons agir ensemble pour faire enfin des MGF une pratique du passé partout en Irak », a-t-elle conclu.

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