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Analyse

L'EIIS est-il une création de l'Occident ?

Waleed Abou al-Khair au Caire, Izazoullah Sayer Zaland à Kaboul, Zia Our Rehman à Karachi et le reporter irakien Khalid al-Taie

Le visage d'Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l'EIIS né en Irak, apparaît parmi les photos de « terroristes recherchés dans le monde entier » présentées par les autorités irakiennes sur cette photo prise le 6 février 2018. [Ahmad al-Rubaye/AFP]

Le visage d'Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l'EIIS né en Irak, apparaît parmi les photos de « terroristes recherchés dans le monde entier » présentées par les autorités irakiennes sur cette photo prise le 6 février 2018. [Ahmad al-Rubaye/AFP]

L'une des théories du complot les plus persistantes dans le monde musulman est que « l'État islamique en Irak et en Syrie » (EIIS) et les groupes extrémistes qui lui sont liés sont une création des pays occidentaux, notamment des États-Unis.

Cette théorie, qui suggère que ces groupes servent de prétexte à une intervention occidentale dans les nations islamiques, trouve un écho considérable dans le monde musulman auprès d'une large partie de la population, dont certains responsables politiques.

Pour plusieurs universitaires, experts et personnalités religieuses, ces types de théorie sont des mensonges propagés pour dénaturer la réalité sur le terrain.

« En encourageant de telles théories, certaines forces veulent en fait faire douter les gens sur la brutalité des réseaux mondiaux de militants », a expliqué l'érudit religieux Allama Ahsan Siddiqi, qui est basé à Karachi et dirige la Commission interconfessionnelle pour la paix et l'harmonie.

Le leader de l'EIIS Abou Bakr al-Baghdadi avait fait une rare apparition publique en 2014, lorsqu'il avait déclaré son soi-disant « califat » depuis la mosquée al-Nouri de Mossoul. [Image largement diffusée en ligne]

Le leader de l'EIIS Abou Bakr al-Baghdadi avait fait une rare apparition publique en 2014, lorsqu'il avait déclaré son soi-disant « califat » depuis la mosquée al-Nouri de Mossoul. [Image largement diffusée en ligne]

Une image tirée d'une vidéo de l'EIIS publiée le 4 mars 2018 montre des terroristes de l'EIIS abattant des civils sans défense.

Une image tirée d'une vidéo de l'EIIS publiée le 4 mars 2018 montre des terroristes de l'EIIS abattant des civils sans défense.

Une frappe aérienne de la coalition internationale a pris pour cible la voiture d'Ahmad Hassan Abou al-Khair al-Masri, chef important d'al-Qaïda, dans la ville d'al-Mastuma, dans le nord de la Syrie en février 2017. [Photo circulant sur les comptes des réseaux sociaux des soutiens d'al-Qaïda]

Une frappe aérienne de la coalition internationale a pris pour cible la voiture d'Ahmad Hassan Abou al-Khair al-Masri, chef important d'al-Qaïda, dans la ville d'al-Mastuma, dans le nord de la Syrie en février 2017. [Photo circulant sur les comptes des réseaux sociaux des soutiens d'al-Qaïda]

Une image tirée de la vidéo de propagande de l'EIIS publiée le 4 mars 2018 montre les dégâts d'une frappe aérienne de la coalition contre un repaire de l'EIIS.

Une image tirée de la vidéo de propagande de l'EIIS publiée le 4 mars 2018 montre les dégâts d'une frappe aérienne de la coalition contre un repaire de l'EIIS.

La naissance de l'EIIS au Moyen-Orient n'est pas remise en question, a-t-il précisé à Al-Mashareq, soulignant que « l'on peut faire remonter ses origines jusqu'à Abou Moussab al-Zarqaoui ».

Al-Zarqaoui, activiste jordanien ayant rejoint al-Qaïda en 2004, avait prêté allégeance à Oussama ben Laden, devenant par la suite le premier émir du groupe en Irak.

Racines irakiennes

Abou Bakr al-Baghdadi, qui dirige maintenant l'EIIS, a rejoint al-Qaïda un an plus tard, en 2005, après avoir quitté la prison de Camp Bucca à Bagdad, où il avait été détenu après avoir été découvert en train de rendre visite à un terroriste recherché.

Né en 1971 dans le village d'al-Jilam, au sud de Samarra, al-Baghdadi a ensuite déménagé à Bagdad pour y parfaire son éducation, a rapporté Hisham al-Hashimi, auteur de deux ouvrages sur l'EIIS : « Le monde de l'EIIS » et « L'EIIS de l'intérieur ».

Dès son plus jeune âge, il a été influencé par l'idéologie salafiste et a propagé ses idées extrémistes en tant qu'imam d'une mosquée à Bagdad, a poursuivi al-Hashimi.

Figure importante du groupe activiste « L'Armée de la secte victorieuse », al-Baghdadi a été présenté à al-Qaïda par son cousin, Mollah Fawzi al-Badri, et a juré allégeance à son leader de l'époque, al-Zarqaoui.

Al-Zarqaoui a été tué lors d'une opération américaine en juin 2006.

« Depuis la mort d'al-Zarqaoui, al-Baghdadi a réussi à gravir les échelons sous la direction d'Abou Omar al-Baghdadi (Hamid Dawood Mohammed Khalil al-Zawi) », a continué al-Hashimi.

Il a ensuite servi sous les ordres d'Abou Hamza al-Mouhajir, le leader égyptien d'al-Qaïda en Irak, « préparant le terrain pour devenir chef de l'EIIS ».

Al-Hashimi précise que la mort d'al-Mouhajir, tué par les forces irakiennes en 2010, « a permis à al-Baghdadi de devenir le leader ».

Al-Baghdadi a été nommé « pour diriger l'EIIS naissant », a-t-il rapporté, mais il avait d'autres ambitions et rêvait de faire revivre le califat islamique.

« En 2011, al-Baghdadi a profité des troubles en Syrie pour envoyer certains de ses plus proches partisans convaincre des membres d'al-Qaïda qui se trouvaient dans l'est de la Syrie d'accepter l'idée d'un califat et d'abandonner leur groupe principal pour rejoindre l'EIIS, dont l'influence commençait à monter », a déclaré al-Hashimi.

En avril 2013, il réussit enfin à attirer des dirigeants et des groupes syriens connectés idéologiquement avec al-Qaïda, affirmant ainsi la naissance de l'EIIS.

Innombrables mensonges

Le politologue égyptien Abdoul Nabi Bakkar, professeur à la faculté de charia et de droit de l'Université Al-Azhar, a expliqué à Al-Mashareq que la prolifération des groupes terroristes dans la région s'est accompagnée d'innombrables mensonges.

« L'examen des faits historiques et politiques prouve à l'évidence la fausseté des affirmations défendues par des inconnus », a-t-il déclaré.

Ces affirmations ont été largement crues, a-t-il ajouté, « parce qu'elles ont été répétées encore et encore par de nombreux responsables politiques de la région ».

« Comment par exemple, l'EIIS pourrait-il être une création des États-Unis, alors qu'il est une évolution d'al-Qaïda en Irak, qui a été fondé par Abou Moussab al-Zarqaoui et ben Laden avant lui », s'est interrogé Bakkar.

Mouhammad Amir Rana, directeur de l'Institut PaK d'études sur la paix, un groupe de réflexion basé à Islamabad, a indiqué qu'il est évident que l'EIIS a été formé par d'anciens leaders d'al-Qaïda opérant en Irak et en Syrie.

« Rien n'indique que l'EIIS soit un produit des États-Unis », a affirmé l'expert irakien al-Hashemi.

« L'organisation est apparue et a développé son potentiel et ses tactiques offensives en exploitant ses propres capacités », a-t-il expliqué. « Il est inconcevable qu'elle-même et le reste des organisations fondamentalistes reçoivent des instructions de la CIA ou autre. »

« L'EIIS n'a pas été créé par les États-Unis », a affirmé Jouma Khan Hamdard, ancien gouverneur de la province d'Helmand, en Afghanistan.

« L'EIIS est le plus grand ennemi des États-Unis, et il leur est opposé. Comment peut-on dire qu'ils l'ont créé ? », a-t-il demandé.

Amir Khan Yar, parlementaire afghan de la province de Nangarhar, a fait remarquer que les États-Unis sont en guerre contre l'EIIS en Afghanistan.

« À Nangarhar, nous constatons tous les jours qu'ils combattent les insurgés de l'EIIS, qu'ils sacrifient leurs soldats et apportent la stabilité à l'Afghanistan », a-t-il déclaré, ajoutant que les États-Unis ne soutiendraient « jamais » l'EIIS.

Tactiques de diversion

« Cette théorie du complot n'est pas nouvelle », a indiqué Bassima Husni, professeur de sociologie à l'université du Caire, notant que ce n'est « rien d'autre qu'un ensemble de mensonges montés de toutes pièces ».

Ces mensonges étant propagés par des gens ou des institutions qui jouissent d'une certaine crédibilité auprès de leur public, ils « sont considérés comme des faits ou comme une conspiration visant la population ciblée », a-t-elle expliqué à Al-Mashareq.

Souvent, le grand public ne fait pas de recherches sur ces questions, a poursuivi Husni, et il se laisse convaincre par des déclarations émanant de personnalités connues.

Cela peut mener les gens à perdre de vue le cœur du problème, a-t-elle ajouté, ce qui est l'intention de base de la théorie du complot, qui crée « une diversion dans le but de prolonger le problème aussi longtemps que possible ».

Le directeur du groupe des Érudits musulmans en Irak, Cheikh Khalid al-Mollah, a expliqué à Al-Mashareq que « le fait de considérer l'EIIS comme un produit américain » constitue une tentative pour faire apparaître sous un autre jour le problème du terrorisme et de l'extrémisme dans le monde musulman.

« Est-il logique de dire que les États-Unis contrôlent les pensées d'un milliard et demi de musulmans et de dire qu'ils influencent les décisions des musulmans », a-t-il demandé ?

« Pourquoi n'admettons-nous pas que l'EIIS est le produit de la pensée extrémiste [propagée par] des hommes de religion, d'autorité et d'influence pour manipuler les idées de jeunes musulmans et contrôler leurs esprits pour en tirer des avantages personnels ou politiques », a-t-il poursuivi.

Le rôle de l'Iran

Le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) d'Iran a souvent propagé le mensonge selon lequel les conflits en cours au Moyen-Orient sont alimentés par des pays occidentaux, au premier rang desquels les États-Unis, ont rapporté des experts à Al-Mashareq.

La machine médiatique iranienne fait continuellement la promotion de cette théorie et prétend que les attentats et les complots terroristes de la région font partie d'une conspiration ourdie par les États-Unis contre les peuples de la région pour servir leurs propres intérêts, a déclaré Fathi al-Sayed, spécialiste des affaires iraniennes au Centre al-Sharq d'études régionales et stratégiques.

La large diffusion de cette théorie du complot est favorisée par de nombreux groupes satellites favorables à l'Iran, tels que le Hezbollah libanais, a ajouté al-Sayed.

Le CGRI est à l'origine de la propagation de ces mensonges, a-t-il poursuivi, notant que le groupe a régulièrement apporté son soutien à des groupes extrémistes, parmi lesquels al-Qaïda.

« La raison derrière la propagation de ce mensonge est d'abord de détourner la responsabilité [du CGRI], et [ensuite] de fournir un prétexte à son ingérence dans la région », a expliqué Bakkar, professeur de droit à l'Al-Azhar.

L'Iran a utilisé cette théorie du complot « pour contrôler la secte chiite de la région arabe en prétendant s'élever contre le projet américain et protéger [les chiites] contre des tentatives visant à mettre fin à leur existence », a-t-il conclu.

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