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Le nouveau régime foncier en Syrie inquiète les groupes de défense des droits de l'homme et les avocats

AFP

Les nouveaux bâtiments poussent comme des champignons dans Damas, sur cette photo datée de mai 2010. Alors que le régime consolide son contrôle sur les zones anciennement tenues par l'opposition, il adopte une législation sur les biens qui montre clairement son intention de resserrer son contrôle dans ce domaine. [Louai Beshara/AFP]

Les nouveaux bâtiments poussent comme des champignons dans Damas, sur cette photo datée de mai 2010. Alors que le régime consolide son contrôle sur les zones anciennement tenues par l'opposition, il adopte une législation sur les biens qui montre clairement son intention de resserrer son contrôle dans ce domaine. [Louai Beshara/AFP]

Plusieurs groupes de défense des droits et spécialistes tirent la sonnette d'alarme sur une nouvelle loi syrienne sur l'urbanisme, affirmant que des millions de personnes déplacées risquent de ne jamais rentrer chez elles après avoir perdu leurs titres de propriété sur les biens qu'elles avaient abandonnés.

La Loi sur le renouveau urbain, communément appelée « décret 10 », permet au gouvernement de prendre des propriétés privées pour créer des lotissements de zones, indemnisant les propriétaires avec des parts dans ces nouveaux projets.

Il s'agit de l'extension nationale du décret 66 datant de 2012 qui prévoyait la construction de deux complexes fastueux construits sur des quartiers rasés par les bombes de Damas.

Des acquisitions foncières similaires sont utilisées dans le monde entier pour redévelopper des quartiers négligés ou ravagés par la guerre.

De la fumée s'élève après des frappes aériennes signalées du régime syrien sur le quartier d'al-Qaboun de Damas tenu par l'opposition, sur cette photo datée du 15 mars 2017. Plusieurs groupes de défense des droits de l'homme estiment que les habitants de ces zones risquent de perdre leur droit au retour, en vertu d'une nouvelle loi sur le développement urbain, communément appelé le décret n° 10. [Amer al-Mohibany/AFP]

De la fumée s'élève après des frappes aériennes signalées du régime syrien sur le quartier d'al-Qaboun de Damas tenu par l'opposition, sur cette photo datée du 15 mars 2017. Plusieurs groupes de défense des droits de l'homme estiment que les habitants de ces zones risquent de perdre leur droit au retour, en vertu d'une nouvelle loi sur le développement urbain, communément appelé le décret n° 10. [Amer al-Mohibany/AFP]

Mais les spécialistes s'inquiètent du fait que son application en Syrie, où la guerre a chassé plus de cinq millions de personnes de leur pays et en a déplacé six millions à l'intérieur, ne recèle de nombreuses violations.

« La portée de ces atteintes est immense, et c'est ce qui motive notre inquiétude », a expliqué Sara Kayyali, chercheuse chez Human Rights Watch (HRW) Syria.

Si leur terrain est situé dans le cadre d'un nouveau lotissement, les propriétaires perdent inévitablement leurs droits, et doivent accomplir de lourdes procédures bureaucratiques dans des délais serrés pour obtenir des parts en échange.

C'est beaucoup demander à des Syriens déplacés à qui il manque souvent les documents, qui connaissent des difficultés financières ou ne sont pas informés des conditions dans les temps.

« Le principal souci que nous entendons exprimé par ces personnes qui peuvent être affectées est qu'elles ne savent pas si elles pourront rentrer », a-t-elle expliqué.

« Comme s'il ne s'était rien passé »

La loi elle-même ne mentionne pas les millions de personnes déplacées, ce qui constitue un avertissement très fort pour Diana Semaan, d'Amnesty International.

« Rien dans la loi ne garantit leur sécurité », a-t-elle mis en garde.

« Cette loi aborde la question comme s'il ne s'était rien passé et comme si tout le monde se trouvait en Syrie, capable de déléguer un pouvoir de représentation ou de venir soi-même revendiquer sa propriété. »

En vertu du décret 10, une fois que le gouvernement syrien a désigné une zone à lotir, les autorités disposent d'un délai d'un mois pour notifier publiquement aux propriétaires fonciers l'option sur des parts qui leur est proposée.

Ceux qui possèdent des titres dans les registres gouvernementaux reçoivent automatiquement des parts, mais ceux qui n'en ont pas disposent d'un délai de 30 jours pour attester de leur droit de propriété.

Avant même le déclenchement de la guerre, toutefois, un « pourcentage significatif » de Syriens ne possédaient pas de documents légaux, selon un rapport du Norwegian Refugee Council (NRC) daté de 2016.

Mais même les Syriens possédant des titres dans les registres officiels peuvent éprouver des difficultés pour faire valoir leurs droits, parce que plusieurs centres ont été détruits lors des combats, notamment à Homs.

« La perte de ces fichiers peut permettre l'occupation et le transfert de ces biens à d'autres personnes ou à des intérêts commerciaux », a écrit le NRC.

De nombreux déplacés internes ou réfugiés à l'étranger n'ont pas emporté les documents nécessaires avec eux, tels que leurs titres de propriété, leurs documents d'identité ou d'anciennes factures.

Seuls 20 % des ménages réfugiés syriens interrogés par le NRC en Jordanie ont indiqué avoir de tels documents en leur possession. Et moins de 40 % des déplacés de la Ghouta orientale avaient les leurs, selon le groupe de la société civile syrienne The Day After (TDA).

Un décret de 2017 est certes censé remplacer ces titres, mais comme le souligne Kayyali, il existe « de nombreux obstacles bureaucratiques et financiers ».

« Vu l'étendue des déplacements et la perte des documents personnels, la loi ne donne pas aux gens suffisamment de temps pour déposer leur demande », a-t-elle ajouté.

Même les titres présentés avec succès auront vraisemblablement une valeur « bien inférieure » à celle du terrain saisi, a ajouté Semaan.

« La valorisation des biens dans la loi n'est pas correctement pensée ou n'est pas juste pour les personnes affectées », a-t-elle ajouté.

« Une tendance préoccupante »

L'opposition syrienne accuse le gouvernement d'utiliser des moyens juridiques et militaires pour façonner la démographie sociale selon des lignes sectaires.

Mais pour Amnesty et HRW, le décret 10 s'inscrit dans une tendance préoccupante qui vise à déposséder les Syriens selon des critères politiques ou financiers.

Une loi, votée en 2012, autorise le gouvernement à confisquer les biens des personnes accusées de « terrorisme », un terme que le régime utilise pour qualifier tous ses opposants.

Les Syriens habitant dans les zones contrôlées par le régime n'osent pas déposer des demandes en vertu du décret 10 pour le compte de personnes déplacées qualifiées de traîtres, a expliqué l'avocat syrien Hussein Bakri, qui a écrit l'évaluation de la loi pour le TDA.

« Il est inutile de se faire représenter par ses proches, parce que la rigueur des services de sécurité signifie qu'ils seront très certainement arrêtés », a poursuivi Bakri.

Le décret 10, affirme-t-il, « conduira immanquablement à ce que les propriétaires fonciers perdent leurs droits et soient dépossédés de leurs biens au bénéfice de fidèles et de partisans du régime ».

Une telle dépossession peut tout aussi bien être une affaire de gros sous que de politique, explique Jihad Yazigi, rédacteur en chef du Syrian Report.

Le taux « dynamique » de la législation sur la propriété montre le souhait du gouvernement de consolider sa mainmise sur l'une des rares ressources d'une économie syrienne dévastée par la guerre : les biens fonciers.

« La terre présente de nombreux avantages. Que pourraient-ils faire d'autre ? La production, l'agriculture, les banques ? Non, la terre. C'est très clair », a affirmé Yazigi.

En attendant, ceux qui se retrouvent coincés dans des zones qui échappent au contrôle du régime ont peu de moyens à leur disposition, a-t-il déclaré.

« Cela marque la fin de tout espoir de retour pour ces gens. S'il leur restait encore quelque espoir, c'est terminé. »

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