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Droits de l'Homme

Charniers de Daech : un héritage criminel généralisé

Par Alaa Hussain à Bagdad

Des équipes médicolégales irakiennes exhument les restes des victimes de Camp Speicher tuées par « l'État islamique » et jetées dans des charniers de la région en 2014. [Photo extraite de la page Facebook de Camp Speicher]

Des équipes médicolégales irakiennes exhument les restes des victimes de Camp Speicher tuées par « l'État islamique » et jetées dans des charniers de la région en 2014. [Photo extraite de la page Facebook de Camp Speicher]

Il y a quelques jours, Mohammed al-Aboudi a tristement reçu les restes de son fils Kamal, provenant d'un charnier dans la province irakienne de Salaheddine quelques mois plus tôt.

Cela faisait plusieurs années que son corps avait disparu.

En 2014, Kamal suivait un entraînement militaire à Camp Speicher à Salaheddine lorsque la province tomba aux mains de « l'État islamique » (Daech), a expliqué son père à Diyaruna.

« Nous savions qu'il avait été tué par les terroristes parce que nous l'avions vu dans l'une des vidéos diffusées par le groupe », a expliqué al-Aboudi. « Il faisait partie d'un groupe de soldats qui devaient être exécutés, mais nous n'avions pas vu son exécution. »

Des centaines de corps découverts dans des charniers à Camp Speicher sont exhumés. [Photo extraite de la page Facebook de Camp Speicher]

Des centaines de corps découverts dans des charniers à Camp Speicher sont exhumés. [Photo extraite de la page Facebook de Camp Speicher]

Dès la libération de Tikrit, des histoires de charnier ont commencé à circuler.

« Notre seul but était de trouver les restes de notre fils », a indiqué al-Aboudi, expliquant qu'il avait donné au laboratoire médicolégal de Bagdad un échantillon d'ADN pour qu'il puisse le comparer à celui de centaines de corps retrouvés sur le site.

Le corps de Kamal a été identifié et renvoyé à sa famille il y a quelques jours.

« Ce n'était pas vraiment un corps, mais plutôt un tas d'ossements sans formes », a précisé al-Aboudi, mais cela nous a permis à nous, sa famille, de l'enterrer dans une tombe portant son nom.

« Je remercie Dieu que Kamal ait maintenant une tombe sur laquelle nous pouvons nous rendre à chaque Aïd », a-t-il ajouté.

Meurtres sans discrimination

La famille d'al-Aboudi est chiite, mais leur histoire est partagée par les familles de centaines d'autres victimes de Daech de toutes confessions dont les proches ont été retrouvés dans des charniers.

Abou Nizar, un sunnite originaire d'al-Hawija, s'était enfui vers Kirkouk après que Daech se fut emparé de sa ville en 2014.

Il a été parmi les premiers à revenir après la libération d'al-Hawija, a-t-il expliqué à Diyaruna, pour rechercher les restes de ses proches assassinés par le groupe et vraisemblablement enterrés dans un charnier.

Sur une photo publiée en ligne, Daech montrait l'exécution de deux des cousins d'Abou Nizar. Une autre montrait leurs corps pendus à une entrée de la ville, a-t-il indiqué.

Abou Nizar a expliqué que ses proches avaient été exécutés « pour la seule et unique raison qu'ils avaient aidé certaines personnes à fuir al-Hawija », a-t-il ajouté.

« Ils ont été suspectés de collusion avec les forces de sécurité et condamnés à mort », a-t-il poursuivi, ajoutant que le jour était venu pour lui de rechercher leurs restes dans les charniers mis à jour après la libération de la ville.

Cet effort de recherche fut plus difficile que ce à quoi il s'attendait, a expliqué Abou Nizar, soulignant que les corps présents dans ces charniers s'étaient dégradés avec le temps.

Il a demandé au gouvernement d'exhumer et d'identifier rapidement ces corps, avant que les citoyens n'ouvrent eux-mêmes les charniers et compliquent le travail d'identification.

Toutes les composantes de la société irakiennes ont eu à souffrir par la faute de Daech et se retrouvent dans les charniers du groupe, a expliqué Fadel al-Gharawi, membre de la Haute commission indépendante irakienne des droits de l'homme.

« On retrouve ces charniers à Camp Speicher, Tuz Khurmatu et Bashir, dans les provinces de Salaheddine et de Kirkouk, où toutes les victimes sont chiites », a-t-il indiqué à Diyaruna.

Mais le groupe s'en était également pris à des sunnites qui s'opposaient à lui, a-t-il précisé, et leurs corps se retrouvent dans des charniers à al-Alam, Falloujah et Diyala, tandis que plusieurs charniers contenant les restes de victimes yézidies ont été retrouvés à Sinjar.

« C'est toute la société irakienne qui se trouvait sur la liste des personnes à abattre », a expliqué al-Gharawi.

On ne sait pas encore combien de victimes ont été jetées dans ces charniers, « parce qu'il est difficile de les atteindre pour des raisons de sécurité », a-t-il précisé. « Mais certains indices inquiétants parlent de milliers. »

Témoins oculaires

Al-Khafsa est l'un des charniers les plus connus découverts à ce jour, certaines estimations laissant à penser qu'il contiendrait les restes de 25 000 corps.

Dans un rapport de Human Rights Watch publié le 22 mars, des témoins oculaires de la région ont rapporté des histoires horribles de victimes abattues et jetées dans cet effondrement naturel situé à huit kilomètres au sud de l'ouest de Mossoul.

Ces témoins oculaires racontent avoir assisté à de multiples exécutions de masse menées au bord de ce gouffre, parfois chaque semaine à partir de juin 2014 et jusqu'en mai ou juin 2015.

Ils ont expliqué avoir entendu les combattants de Daech parler d'autres exécutions, y compris d'anciens membres de la police ou des forces de sécurité irakiennes et de membres de la Sahwa.

« Certaines des victimes étaient peut-être aussi des détenus de la prison de Badoush, à dix kilomètres à l'ouest de Mossoul, dont Daech s'était emparé le 10 juin 2014 », a également indiqué ce rapport de HRW.

Cinq témoins oculaires ont indiqué avoir vu en juin 2014 des combattants de Daech amener quatre camions de personnes menottées et les yeux bandés au bord du gouffre, avant de les aligner et d'ouvrir le feu afin que leurs corps tombent dedans.

L'un des témoins a indiqué qu'en septembre 2014 au moins treize femmes, le visage et le corps complètement couvert, les yeux bandés et les mains attachées, avaient aussi été amenées sur ce site et exécutées.

Ces cinq témoins, qui habitaient près d'al-Khafsa, ont indiqué avoir entendu parler d'estimations entre 3 000 et 25 000 personnes exécutées à cet endroit, a précisé ce rapport.

Ils ont expliqué avoir souvent entendu des cris et des tirs, et que début 2015 l'odeur des corps était devenue insupportable.

Preuve des crimes de Daech

Al-Khafsa est « la tombe de victimes de toutes les composantes de la société irakienne », selon Ali al-Bayati, porte-parole de la Haute Commission indépendante des droits de l'homme.

« Cela ne signifie pas que les autres charniers sont moins importants », a-t-il précisé à Diyaruna, notant qu'une tombe retrouvée dans la ville de Bashir comportait les restes d'une femme et de ses enfants.

Bien que de petites dimensions, a-t-il ajouté, cette tombe reflète « la barbarie de criminels tuant une femme et ses enfants sans raison aucune ».

Al-Bayati a lancé un appel au soutien et à l'expertise de la communauté internationale pour aider les autorités irakiennes, représentées par la Fondation des martyrs irakiens, à exhumer et identifier les corps retrouvés dans les charniers de tout le pays.

L'Irak est confronté à des difficultés économiques et connaît des problèmes pour assurer le financement des exhumations, a-t-il précisé. « De plus, il existe un grand nombre de charniers qui contiennent des milliers de victimes et qu'aucune institution irakienne à elle seule ne peut traiter. »

La Résolution 2379 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 21 septembre, a demandé au secrétaire général de mettre sur pied une équipe d'investigation indépendante pour venir en appui aux efforts nationaux pour tenir Daech pour redevable de ses actes en Irak.

Cette équipe collectera, préservera et emmagasinera les preuves des actes susceptibles d'être des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des génocides commis par Daech en Irak.

Elle opérera dans le respect absolu de la souveraineté et de la juridiction irakiennes pour les crimes commis sur son territoire, et comprendra des magistrats enquêteurs irakiens et d'autres experts en criminologie qui travailleront aux côtés des experts internationaux.

Cette résolution fournira à l'Irak un mécanisme pour l'ouverture de ses charniers, a conclu al-Bayati, dans la mesure où ces sites apporteront des preuves conclusives des crimes de Daech.

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